La bipédie humaine : épistémologie, paléo-anthropologie, métaphysique
Mercredi 27 mai 2015
Mathilde Lequin
Docteure en philosophie
Université Paris Ouest Nanterre, IREPH
Université Toulouse Jean-Jaurès, ERRAPHIS
La paléoanthropologie utilise la bipédie comme critère d'interprétation des vestiges fossiles permettant d'établir leur appartenance à la lignée humaine. Ainsi, la bipédie devient une caractéristique *propre* à la lignée humaine et qui en marque *l'origine*. Nous identifions ici un « cercle herméneutique » de la paléoanthropologie, puisque l'humain y est défini par la bipédie et, réciproquement, tout bipédie est interprétée comme étant nécessairement humaine. Du fait de cette circularité, les traits associés à la bipédie sont surinterprétés dans la description des vestiges fossiles,
qui se voient alors conférer une signification fonctionnelle et phylogénétique univoque. L'unicité de la bipédie humaine constitue un principe d'interprétation resté ininterrogé en paléoanthropologie. Ce point révèle l'attachement de cette discipline scientifique à une conception philosophique du propre de l'homme qui semble pourtant difficilement compatible avec l'approche évolutionniste. Au contraire, une véritable épistémologie de la paléoanthropologie doit mettre en perspective la
signification accordée à cette caractéristique anthropologique : je montrerai ainsi que le concept métaphysique de « station droite » trouve son écho dans le concept naturaliste de « bipédie ». Cette continuité ou cette capillarité de la philosophie à la science sera mise en évidence à travers les usages du critère de la bipédie dans la description de plusieurs espèces fossiles. De *Pithecanthropus erectus* à *Ardipithecus ramidus*, j'analyserai différents modes de l'équivalence entre « bipède »
et « humain ». Cette équivalence, souvent implicite, représente une source de confusion majeure pour la paléoanthropologie, impliquant un concept d’ « humain » aux contours flous. Notre épistémologie de la paléoanthropologie dégage donc différents problèmes que cette discipline se doit d'affronter pour que le débat sur l'évolution de la bipédie dans la lignée humaine
puisse avancer.